"Il existe un sentiment d'une société particulièrement injuste" chez les Français, mais également "un sentiment de vivre dans un pays entraîné dans une spirale du déclassement".

( AFP / AURORE MESENGE )
Les mouvements sociaux actuels sont alimentés par la crainte de basculer un jour dans la pauvreté, craine qui explique aussi le climat social "très inflammable", estime mardi 16 septembre dans un entretien à l' AFP le sociologue Camille Peugny, à l'approche de la mobilisation du 18 septembre.
Cette peur du "déclassement", accompagnée d'un "sentiment d'injustice", nourrit également la "défiance" vis-à-vis des institutions, précise ce professeur de l'université Versailles-Saint-Quentin.
• Comment la pauvreté a-t-elle évolué en France ?
"Si on considère le taux de pauvreté comme étant de 60% du revenu médian, il atteint un peu plus de 15% aujourd'hui, d'après les dernières données de l'Insee, soit environ trois points de plus qu'il y a une vingtaine d'années.
Cela correspond quasiment à 10 millions de personnes , ce qui est une proportion extrêmement élevée dans un pays qui fait partie des plus grandes puissances économiques mondiales. Quand on en est à quasiment une personne sur six concernée, cela signifie que nous en connaissons toutes et tous dans notre entourage. Il s'agit d'un phénomène massif et véritablement inquiétant."
• Qui est touché par cette pauvreté ?
"Des personnes en inactivité ou au chômage, mais aussi de plus en plus de gens qui ont un emploi ou des miettes d'emplois . Il s'agit par exemple de celles et ceux qui travaillent dans les services à la personne ou les livraisons et subissent des temps partiels contraints. Certains facteurs jouent également, comme le fait d'être une famille monoparentale ou d'être un jeune de 18 à 24 ans."
Tout un pan de la population se trouve soit dans une situation de précarité, soit sur le fil de la précarité, menacée par la survenue du moindre incident de vie qui pourrait faire basculer dans la pauvreté. Donc il existe cette préoccupation d'être guetté par cette bascule et par une plongée dans le déclassement.
On observe aussi via des enquêtes un sentiment de vivre dans un pays entraîné dans une spirale du déclassement, c'est-à-dire qu'on considère qu'aujourd'hui est moins bien qu'hier et que demain sera encore moins bien qu'aujourd'hui."
• Cette situation contribue-t-elle à alimenter les mouvements sociaux actuels ?
"Oui, c'est à l'aune de ce sentiment de déclassement qu'on peut comprendre un certain nombre de dynamiques qu'on observe aujourd'hui. Et notamment ce climat social très inflammable.
Les mots d'ordre du mouvement "Bloquons tout" sont très concrets, autour des revendications salariales, du pouvoir d'achat, de la dignité . Tout comme ceux pour l'appel à la grève du 18 septembre.
Avant ces mouvements, on a déjà vu dans celui des Gilets jaunes (il y a sept ans, ndlr) que la revendication de la dignité était centrale : pouvoir vivre dignement de son emploi, pouvoir élever dignement ses enfants.
Il existe un sentiment d'une société particulièrement injuste . Ainsi, le sujet de la fiscalité des plus riches est revenu dans le débat public. Ce grand écart entre, d'un côté, les grandes fortunes que le gouvernement a préféré ne pas taxer jusqu'ici et de l'autre, la proposition de supprimer deux jours fériés (désormais abandonnée, ndlr), a été vécue comme une provocation par une partie des travailleurs."
• Quel impact a ce sentiment d'injustice diffus chez une partie de la population ?
Cela crée de la colère et de la défiance envers les institutions , telles que le gouvernement, les politiques mais aussi la justice, la police et les médias, des phénomènes dangereux pour la cohésion sociale.
Cette défiance est particulièrement forte aujourd'hui en France, à l'heure où le système politique apparaît comme étant complètement à bout de souffle, avec des gouvernements qui se succèdent à un rythme effréné et qui apparaissent incapables de répondre aux revendications et de redresser la situation.
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